Les changements dans la vie quotidienne pendant mon existance
- Extrait -
Julien Poulhès
1895-1988

Quelques dates mémorables :

1902 Aux Capelles, on achète un croc-paille, machine à battre actionnée à bras.
1903 On achète le manège pour actionner le croc-paille avec les boeufs.
1907 Un bureau de poste est installé à Cantoin (le maire est Roux Dels Peyrade).
1909 On achète aux Cappelles une faucheuse à traction animale.
1912 un moteur à essence.
1922 À Cantoinet, on achète une faucheuse à traction animale.
1922 À Cantoinet, on construit un four à pain, démoli en 1980 pour faire le hangar.
1930 À Cantoinet on achète un moteur à essence remplacé en 1942 par un moteur électrique.
1932 L'électricité est installée dans la commune.
1932 Le village de Cantoinet vend la carrière de pierre dite la liberté. Individuellement on touche 182000 francs (de l'époque).
1946 Le stylo à bille.
1952 Un industriel ramasse le lait à Orlhaguet.
1955 On achète un tracteur de 16 cv.
1958 On achète une 2 cv.
1963 On construit un hanger à stabulation libre.
1964 Premier ensilage.
1965 On amène l'eau courante dans la commune.
1965 On achète la machine à traire.
1966 On achète un congélateur.
1968 La laiterie s'installe à Laguiole, elle était à La Terrisse depuis une douzaine d'années.
1969 On achète le téléviseur.
1970 On installe le téléphone à la maison.
1975 On installe l'évacuateur à l'étable.
1976 On procède au remembrement.
1984 Construction de la maison de l'ancien emplacement de la maison Maurel-Rouquette.
1986 On refait le pavé de la cour, les grosses pierres sont remplacées par des briques.
1987 Installation d'un lave vaisselle.

Les travaux agricoles : Les labours

Avant 1900, pour labourer, on ne connaissait que l'araire, sorte de crochet formé de pièces en bois de fabrication familiale. Seule la pointe qui pénétrait dans la terre était en fer. L'araire était tirée par une paire de boeufs ou le plus souvent de vaches. De nombreux passages étaient nécessaires pour ameublir un champ. A partir de 1900, petit à petit, la charrue "brabant double" a remplacé l'araire. En 1914, les petites exploitations n'en étaient pas encore toutes munies. Avec la charrue, le travail était moins pénible, moins monotone, mais il n'était pas mieux fait car la terre était moins ameublie. Les rendements avaient plutôt baissé. Ce n'est qu'après l'arrivée des tracteurs qu'on a pu travailler convenablement la terre.

Les travaux agricoles : La moisson

A quelques exceptions près, jusqu'en 1914, le blé était coupé à la faux. Les hommes coupaient et derrière chacun d'eux, une autre personne, femme ou enfant ramassait soigneusement le blé coupé, les épis tournés du même côté. Chaque brassée s'appelait une javelle.
Le soir tout le monde attachait ses javelles. Une poignée de paille soustraite à chacune d'elles servait de lien pour attacher. Pour faire le noeud, assez spécial, on se servait d'un morceau de bois pointu qu'on appelait liödou. Une fois attaché, cela constituait des gerbes. Quelqu'un de bien habile pouvait en attacher cent à l'heure. Travail pénible s'il en est.
Quand le temps n'était pas sûr, on faisait des meules dans le champ même. Ces meules étaient des tas de gerbes faits en forme de cônes, les épis à l'intérieur. Les gerbes étaient placées de manière à ce que l'eau s'égoutte tout le tour sans pénétrer à l'intérieur. On mettait environ cent gerbes à chaque meule. Quand le temps était sûr, on attendait que la moisson soit terminée pour ramasser les gerbes. On faisait alors des grosses meules, environ mille gerbes, à proximité de l'endroit où devait se placer la machine à battre. La confection de ces meules était un travail assez délicat. Pendant longtemps, j'ai fait toutes celles du village.
Cette manière de moissonner a duré jusqu'en 1920. Je crois que nous étions les seuls de la commune aux Capelles (avec Mr Clapier de Biac) a nous être équipé d'une faucheuse à traction animale en 1908. En ajoutant quelques pièces, la machine pouvait moissonner et faire les javelles bien mieux arrangées qu'à la main. Les javelles restaient à côté du blé non coupé et il fallait les changer de place pour laisser le passage libre à la machine au tour suivant, mais c'était qu'en même un grand progrès.
Après 1920, petit à petit, à peu près toutes les exploitations se munirent de cette machine (en 1908 cette machine nous coûtait 410 frs, la valeur d'une grosse vache).
Puis çà et là apparurent bien quelques moissonneuses lieuses, mais elles demandaient tellement de force pour la traction, qu'avant l'arrivée des tracteurs, on ne pu guère s'en servir. Enfin, c'est vers 1954 qu'arrivèrent dans la région les moissonneuses- batteuses. Alors vraiment c'était un grand changement.

Les travaux agricoles : Le dépiquage

Pour battre ou dépiquer avant 1900 on ne connaissait ici que le fléau, outil entièrement en bois de fabrication familiale ou artisanale. C'était une gaule de 3m50 de long environ faite de branches entrelacées avec lesquelles on tapait sur le blé. Les gerbes étaient détachées et étendues par terre sur un pavé de préférence.
On tapait dessus en cadence jusqu'à ce que le grain soit sorti des épis. Puis on secouait la paille de manière à ce que le grain reste par terre. On remettait la paille en botte comme les gerbes. On rentrait cette paille dans les granges tant qu'il y avait de la place, mais il aurait fallu beaucoup de place pour la rentrer toute. Elle n'était pas pressée. Alors on la mettait en meule comme pour les gerbes.
Le grain était ramassé et vanné. Pour le vanner en 1900 il y avait bien quelques tarares (bentadou) mais beaucoup attendaient un jour de vent. Alors corbeille par corbeille, (polias), on mettait la corbeille pleine sur le tête et on laissait tomber doucement le grain par terre sur une toile (morubelle). Le grain tombait directement tandis que le vent emportait les impuretés légères. Pour les plus lourdes, on mettait le grain dans une sorte de passoire (curbel) et on secouait. Les petites mauvaises graines tombaient sous la passoire et par un tour de main spécial les grosses graines se rassemblaient à la surface.
C'était un travail long, pénible et assez difficile à faire.
Vers 1900 apparurent quelques batteuses à bras. Dans ces machines d'environ 50 cm de large, il y avait un cylindre muni de pointes en fer d'environ 7 ou 8 cm de long et espacés d'environ 5 cm dans tous les sens. Suspendues au plafond de cette machine il y avait aussi d'autres pointes en fer de même mesure, mais fixes.
Les pointes du cylindre s'entrecroisaient avec celles du plafond. On présentait le blé poignée par poignée au cylindre.
Celui-ci l'entraînait et c'est en passant dans ces pointes que le grain sortait des épis. Seulement il fallait faire tourner ce cylindre assez vite. Une manivelle de chaque côté de la machine et deux hommes à chaque manivelle étaient nécessaires.
Il fallait deux autres personnes pour faire passer la paille dans la machine et quatre pour l'écarter, la secouer, et la remettre en botte derrière. Toutes les demi-heures les hommes échangeaient leur place, ceux qui étaient à la manivelle allaient à la paille et ceux de la paille allaient à la manivelle. On profitait de la relève pour écarter un peu le grain de derrière la machine.
Il y avait encore plus d'impuretés dans le grain qu'avec le fléau. Et on buvait un coup, bien souvent un peu trop, le soir le travail n'était pas mieux fait. C'était moins monotone que le fléau mais le progrès n'était pas grand.
Bientôt apparurent les manèges1: une grande roue dentée placée horizontalement. Une barre (timon) de chaque côté de la roue permettait d'accrocher un attelage, boeufs ou chevaux.
Un système d'engrenages et de barres de transmission faisait que c'était l'attelage qui en tournant en rond faisait tourner la roue dentée. Ce qui avait pour conséquence d'actionner la batteuse. C'était déjà un petit progrès. Le nettoyage du grain se faisait toujours de la même façon mais l'usage du tarare se multipliait et se perfectionnait.
Vers 1910 commencèrent à apparaître quelques batteuses à grand travail actionnées par des locomobiles. Elles étaient conduites par des entrepreneurs et il fallait trente personnes pour les servir et un char de bois par jour pour chauffer une locomobile. Dans une journée tout le blé d'un village était battu et le grain sortait propre.
Aux Capelles cette machine y est venue une fois, mais tous les attelages du village ne suffisaient pas pour amener cette machine de la route au village tant elle était lourde. L'année suivante mon père fit l'acquisition d'une petite machine et d'un moteur à essence pour l'actionner2. C'était plus maniable. Cela allait moins vite, le grain ne sortait pas propre mais il fallait moins de monde pour la servir.
Pendant la guerre 14-18, le manque de main d'oeuvre faisait qu'on avait du mal à se servir de la grosse machine. Notre petite machine rendit beaucoup de services dans le pays. A noter que c'est le premier moteur à essence qui soit apparu dans la région. Mon père avait été à Oustrac pour en voir marcher un. Après guerre quelques grosses machines sont réapparues. Petit à petit les locomobiles ont disparu pour laisser la place aux gros moteurs. Ils étaient en même temps automoteur, ils traînaient la batteuse d'un village à l'autre. C'est vers 1964 que les moissonneuses batteuses sont apparues dans le pays. Alors quel changement!

Les travaux agricoles : la Fenaison
Jusqu'en 1918 à peu près toute l'herbe était coupée à la faux. Comme je l'ai dit en parlant des moissons, nous étions les seuls aux Capelles avec M. Clapier à Biac à nous être munis d'une faucheuse à traction animale en 1908.
Après 1918, l'usage s'en est vite répandu mais il a bien fallu une dizaine d'années pour que les petites exploitations décident de s'en munir. Ces machines ont rendu service jusqu'à l'arrivée des tracteurs. C'est en 1955 que personnellement à Cantoinet nous en avons acheté un. Il n'y en avait encore que deux ou trois dans le canton. Dix ans après, à peu près chacun avait le sien. Alors tous les fournisseurs se disputaient les clients.
En 1955, le tracteur nous est arrivé deux ans après l'avoir commandé et en partie payé. Si un de mes fils n'avait pas été à Paris à l'exposition de la machine agricole et n'y avait pas rencontré un directeur de l'usine, il aurait peut être fallu l'attendre plus longtemps.
Tout le monde avait l'intention de conserver un attelage de boeufs ou vaches en même temps que le tracteur. On s'est vite aperçu que ce n'était pas possible. On ne leur faisait presque rien faire et ils n'étaient jamais bien domptés. Avant le tracteur, nous avions deux paires de boeufs, une paire de quatre ans et une de trois ans. Ceux de quatre ans étaient vendus après fenaison.
C'était le principal revenu de l'exploitation. Ils valaient à peine 900 frs en 1914. Les mêmes aujourd'hui en 1955 vaudraient 900.000 frs. On a supprimé deux zéros ce qui équivaut à 9000 frs.
Tous les ans il fallait dresser deux doublons. On les choisissaient identiques ce qui avait une grande influence sur leur valeur. Pour remuer et aidainer le foin, le râteau à main était le seul outil connu avant 1914. Après 1918, les fermes de quelque importance se munirent de rateleuses. Attelées à un cheval, elles ramassaient le foin, le mettaient en cordes. Puis arrivèrent des machines toujours à traction animale pour remuer et tourner le foin. Pour le passer au char, il n'y avait que la fourche en fer qui avait remplacé la fourche en bois vers 1900.
Sur le char, une personne le plus souvent une femme arrangeait le foin. Le charger bien en équilibre, était assez difficile. Il arrivait que la charrette se démolisse avant d'être finie. Dans les grosses fermes, le valet passait le foin, la servante le chargeait. Un usage ancien voulait que le valet achète des poires à la servante après fenaison si aucune charretée ne s'était démolie. De là un dicton est resté longtemps, perdré los péros, quand quelque chose se démolissait. Puis on eu l'idée de mettre de grandes claies de chaque côté du char ce qui facilitait le chargement, mais les chemins étaient tellement étroits que tout le monde ne pouvait s'en servir.
Vers 1950 apparurent quelques chargeurs: un tapis roulant actionné par ses propres roues. On l'accrochait derrière le char. C'était le char à cheval de l'audain. Le chargeur en marchant montait le foin sur le char. Le chargeur remplaçait la fourche mais il fallait toujours quelqu'un sur le char pour arranger le foin. On ne pouvait se servir du chargeur qu'avec les chars à claies. L'usage ne s'en est pas généralisé. Nous en avons eu un mais il n'a servi que deux ou trois ans. On l'a revendu à temps, ils ont été bientôt abandonnés par tout le monde.
L'arrivée des tracteurs et des presses ramasseuses chez nous en 1959 a bien modifié ce travail. Avant l'arrivée des presses, le déchargement du foin à la grange était pénible. Boeufs et char avançaient jusqu'au fond de la grange. On déchargeait petit à petit en avançant. Au début de la fenaison ça pouvait aller, mais vers la fin l'attelage trimait pour arriver au fond, en passant par dessus le foin rentré la veille. Au fond de la grange, il arrivait que l'attelage touche les chevrons avec les cornes. De temps en temps on faisait passer le troupeau de vaches sur le foin pour le presser. Le char montait plus facilement, travail presque incroyable aujourd'hui.

La maison : L'habitation
Beaucoup de constructions sont antérieures à 1870.
Avant cette date et jusqu'en 1900, le tour des portes et des fenêtres étaient taillés en granit bleu qu'on trouvait du côté de Vines.
Après 1900, on a employé le granit blanc qu'on trouvait dans les bois sur la route de Lacalm ou en dessous de Biac sur la route de Sainte Geneviève. Ni pour l'un, ni pour l'autre il n'y avait de carrière ouverte. On trouvait des blocs de pierre dans les champs qui étaient exploités. Dès 1950 on employait le béton.
Avant 1870, on faisait le moins d'ouvertures possibles.
Il y avait un impôt sur les portes et fenêtres. En principe, il y avait la porte et une fenêtre de chaque côté. En plus, il y avait près de l'évier une petite ouverture d'environ quarante sur quarante qui ne comptait pas pour l'impôt. En haut, il y avait trois fenêtres mais aucune au dessus du "fenestrou".
L'escalier pour accéder au premier étage partait en face de la porte d'entrée. Au rez de chaussée il y avait deux pièces dont l'une était la cuisine et l'autre était appelée salon. Le plus souvent ce n'était qu'un débarras. A la cuisine, règle à peu près générale, il y avait deux alcôves. Entre les deux, l'armoire garde manger et la pendule à poids prenaient place. Tout était sur le même plan, c'est à dire que la profondeur de l'armoire équivalait à la largeur de l'alcôve; la pendule au dépend de l'armoire.
Au dessous de l'escalier il y avait un petit lit, "la coutchique". Le plus possible on couchait à la cuisine ou à l'étable.
Il faisait froid à la chambre4. L'escalier pour monter au grenier partait du palier ou parfois d'une chambre et je ne sais trop pourquoi on ne cherchait pas à faire joindre les portes.
Les systèmes de fermetures étaient artisanaux. Souvent un simple bout de bois pivotant sur une pointe maintenait la porte fermée. Inutile de dire que les sanitaires n'existaient pas, on ne connaissait pas la signification de ce mot. Quelques maisons avaient bien une cabane au fond du jardin qui servait de water mais à peu près tout le monde allait comme il pouvait derrière une muraille. Encore aujourd'hui en 1975, toutes les maisons n'ont pas de sanitaires.

La maison : L'eau et l'électricité
C'est en 1965 que la commune, une des premières de la région, pu faire l'adduction d'eau dans tous les villages. Avant cette date chacun se débrouillait.
Beaucoup de ferme avaient des puits dans la cour, l'eau était plus ou moins bonne. Beaucoup tarissaient l'été.
Ici, on allait chercher l'eau à la fontaine du village, nous avions la chance de l'avoir à proximité. L'eau aurait été à peu près bonne si on avait eu la patience de la prendre avant qu'elle tombe dans l'auge mais bien souvent elle ne coulait pas bien fort, il aurait fallu trop longtemps pour remplir un seau. On la prenait dans l'auge, les bêtes y avaient bu, les grenouilles s'y promenaient. Il y avait l'avantage que les femmes s'y rencontraient avec leurs seaux, elles y faisaient un brin de causette. Maintenant, elles n'ont plus à sortir de la maison.
Aux Capelles les fontaines tarissaient presque l'été,
on allait chercher l'eau avec des barriques pour les besoins de la maison. On allait au pré de Pratmeau.
Là, il y avait un simple trou d'environ un demi mètre cube. Il était toujours plein d'eau et on puisait avec un seau pour remplir les barriques. Le trou était aussi plein quand nous repartions que quand nous arrivions. Pour la lessive, quand il pleuvait, on ramassait l'eau des toitures dans des baquets. Ici, on allait laver au ruisseau, les femmes à genou sur une pierre, frottaient le linge sur une autre pierre.
Vers 1955, quelques machines à laver firent leur apparition, mais sans eau courante, on s'en servait difficilement.
On aurait pu les actionner puisque c'est en 1932 que le courant électrique est arrivé dans la commune. Là aussi quel changement. Lampes, bougeoirs, lanternes sont matériels réformés. Au début, on ne faisait faire que des installations bien restreintes, on n'avait pas bien compris. Petit à petit, le nombre de lampes a augmenté et aussi les prises de courant car à l'installation, on ne savait pas ce que c'était.

La maison : Cuisine et fêtes de famille
A la cuisine, avant 1914, on ne connaissait que le feu de cheminée et la crémaillère. Pourtant certains jours on y faisait beaucoup de cuisine. Les repas de noce se faisaient toujours à la maison et on invitait beaucoup de monde. Les tablées de soixante ou quatre-vingt convives n'étaient pas rare. La table était à la grange ou à l'étable suivant la saison. Entre voisins, on se prêtait la vaisselle. La cuisine était faite dans la cheminée.
Deux crémaillères étaient accrochées à la même potence.
Les tartes, quelques plats et l'obligatoire fouace cuisaient dans le four à cuire le pain. Une grande fouace de presque un mètre de diamètre figurait sur la table, mais chaque convive devait emporter sa petite fouace en partant chez lui. C'était ainsi tous les ans le jour de la fête patronale.
Jusqu'en 1914, aucune famille ne passait sans célébrer cette fête en réunissant tous ses proches (à moins d'un deuil récent). Personnellement aux Capelles nous étions invités le lundi de Pâques à Cassuejouls, pour la Saint Jean aux Fonteilles, pour la Saint Martial à Mels, pour le 15 Août à Cayrac et la Saint Laurent à Cantoin. Aux Capelles c'était pour la Sainte Croix.
Après 1914, ces réunions ne se firent plus, ou à une échelle beaucoup plus réduite. Jusque vers 1960, les repas de noce se firent toujours à la maison avec toutefois moins d'invités. Maintenant, on va à peu près toujours au restaurant.
Entre 1900 et 1914, quelques parisiens de retour au pays, placèrent quelques cuisinières (des "fourneaux" disait-on) à coté du foyer, mais ce n'est qu'après 1918 que l'usage de la cuisinière a commencé à se généraliser. Ce n'est que petit à petit que la crémaillère fut délaissée. Je crois bien qu'encore en 1960, quelques maisons s'en servaient. On brûlait beaucoup de branchages difficiles à brûler dans une cuisinière. Les foyers étaient plus nombreux, on manquait peut être de gros bois. Et puis, débiter le gros bois pour le feu était un travail pénible. Les tronçonneuses n'existaient pas, il n'y en avait certainement pas avant 1960. Tout l'outillage, le matériel était en bois ce qui en immobilisait beaucoup.

Les moyens de transport
Avant 1914, un service régulier d'autobus s'effectuait tous les jours entre Aurillac et Ste Geneviève depuis quelques années déjà. Partant d'Aurillac à l'arrivée du train de Paris vers 10 heures, il arrivait à Mur de Barrez vers midi. Les chauffeurs et beaucoup de voyageurs dînaient à Mur de Barrez. Il arrivait à Ste Geneviève vers les 3 heures pour repartir presque aussitôt et arriver à Aurillac au départ du train vers Paris. Ce service continua pendant toute la guerre au grand bénéfice des permissionnaires.
J'avoue que pour ma part le dîner à Mur de Barrez était ma première satisfaction en arrivant en permission. De la gamelle des tranchées au dîner au restaurant, il y avait contraste.
Un autre service d'autobus s'était fait hebdomadairement entre Cantoin et Neussargues pendant l'été 1913. Il avait repris en Juillet 1914 mais interrompu par la guerre, il n'a jamais continué. De Rodez à Ste Geneviève par Laguiole, un service s'effectuait journellement en diligence. On changeait les chevaux à la Vitarelle sans doute aussi à Espalion. Beaucoup de voyageurs montaient les côtes à pied. Les chevaux ne pouvaient marcher qu'aux pas en montée. Les étudiants (ils étaient rares) qui montaient en vacances d'Espalion racontaient que parfois ils étaient obligés de pousser la diligence pour soulager les chevaux. Bien sur ils exagéraient.
Tous les déplacements quotidiens se faisaient à pied. A peu près tous les exploitants possédaient bien une voiture mais il fallait aller chercher la jument au pâturage. Elle ne se laissait pas toujours attraper facilement puis bien souvent elles avaient leur poulain qu'il fallait enfermer tant que leur mère s'absentait. On préférait partir à pied.
Les commerçants avaient chacun plusieurs chevaux ou juments. Ils s'en servaient souvent pour aller s'approvisionner en marchandises à Ste Geneviève. Cantoin était peuplé7, le commerce était assez important, épiceries, merceries étaient bien approvisionnées. Les autres voitures étaient à peu près inexistantes dans la région avant 1914. Le médecin de Ste Geneviève M. Cocural en avait une. Quand il passait sur la route au pâturage des Capelles, les juments prenaient peur et se sauvaient.
Je sais qu'une fois j'ai été les chercher à Parolhès. C'est bien aussi une des raisons pour laquelle on préférait partir à pied plutôt que prendre la jument, elles avaient peur des autos.
Après 1914, on imagina de goudronner les routes. La manière de faire n'était pas bien au point. Les routes étaient excessivement glissantes. Il fallut alors délaisser complètement les chevaux qui ne pouvaient pas y circuler. Les transports en commun en autobus se multiplièrent. Les voitures étaient toujours bondées. Petit à petit les paysans ont acheté des autos. Pour notre part ce n'est qu'en 1958 que nous noud en munirent, une 2 cv, et nous n'étions pas les derniers loin de là. Maintenant chacun a la sienne, il y en a même souvent plusieurs dans la même maison. Les transports en commun se sont vidés. Pour les conserver, département et communes les subventionnent. La liaison Cantoin-Ste Geneviève est supprimée vers 1945.
La bicyclette avait bien été imaginée quelques années avant 1908. D'abord, elle est fabriquée en bois puis en métal.
Au début on n'avait pas trouvé comment faire pivoter la roue avant, pour la diriger, elle marchait tout droit, c'était pour ainsi dire un jouet. On ne tarda pas à trouver le moyen de la diriger mais pendant quelques temps on le faisait avec une grande roue sur le devant et une petite derrière. En 1900 elles avaient à peu près le même format qu'aujourd'hui. Dans le pays, elles étaient rares encore en 1914. Les mauvaises routes rendaient leur emploi difficile et puis elles étaient chères ou plutôt l'argent était rare.
Durant mon existence, je n'ai pas vu beaucoup de changement dans les chemins de fer. Mon arrière grand père Chastan qui partait à Paris en 1851 alla prendre le train à Issoire. Mais le chemin de fer ne tarda pas à arriver à Aurillac9. En 1864, il arriva à 4 km de Rodez. On hésita quelques temps pour entreprendre la construction d'un pont qui lui permettrait d'arriver à Rodez. Ce n'est qu'en 1878 que ce pont fut construit ainsi que la gare de Rodez. Cette gare était alors loin de la ville. Aujourd'hui la ville déborde la gare. Ce n'est qu'en 1901 que Rodez fut relié à Toulouse par voie ferrée.
La ligne d'Espalion Bertholène fut construite vers 1907. Elle a coûté bien cher. Elle rend quelques services pour les marchandises mais n'a jamais guère été utilisée par les voyageurs. Il n'y a que les wagons un peu anciens qui puissent y circuler, certains tournants trop brusques ne permettent pas d'utiliser les wagons modernes.

La vie dans les campagnes
Autrefois les campagnes étaient beaucoup plus peuplées qu'aujourd'hui, les naissances plus nombreuses. J'ai retrouvé le tableau de recensement de la classe 90, c'est à dire des jeunes gens nés en 1870. Il y avait cette année là, vingt conscrits dans la commune de Cantoin. On peut supposer qu'il y avait à peu près autant de filles.
Aucun jeune ne quittait le pays avant le service militaire.
Leur premier voyage était pour aller à la caserne. Les filles ne partaient pas avant le mariage. Elles filaient la laine de leurs moutons et préparaient le chanvre. Garder les moutons et les vaches occupaient beaucoup d'enfants.
Il y avait beaucoup de petits métiers, certains n'étaient exercés que pendant l'hiver : les sabotiers, les fabricants de jougs, certains charrons, certains menuisiers. Ils fauchaient l'été et reprenaient leur métier à la morte saison. Bien souvent ils étaient ambulants, ils allaient travailler chez celui qui leur donnait du travail. Les chaisiers travaillaient d'une manière étonnante : on allait couper un arbre, on leur portait le tronc à la grange et sans autre outil que ceux qu'ils portaient sur le dos d'un village à l'autre, ils fabriquaient une dizaine de chaises dans la journée. Ces chaises étaient paillées à la veillée au coin du feu. Il y avait aussi beaucoup de tailleurs et couturiers car les magasins de confection n'existaient pour ainsi dire pas. Mis à part le chanvre qui a été abandonné avant 1900, tout ce que je viens de raconter a duré jusqu'en 1914.
Avant 1900, il y avait aussi des tisserands qui faisaient le drap avec la laine et la toile avec le chanvre. On ne connaissait pour ainsi dire pas d'autres étoffes. Les chemises de chanvre étaient raides, assez dures à porter quand elles étaient neuves. On raconte que certaines patronnes demandaient à leur servante de les porter quelques semaines avant de les mettre elles mêmes. Les bonnes étaient contentes d'économiser les leurs.
Après le service militaire, les jeunes allaient passer un ou plusieurs hivers à Paris en tant que garçons charbonniers à peu près tous. Au printemps ils venaient aider à la ferme paternelle ou bien ils se louaient domestique dans une ferme. Certains étaient "cantalés" ou pâtres sur les montagnes. Puis ils se mariaient. Les mariages se faisaient toujours entre voisins. Ils partaient à Paris exploiter eux-mêmes un petit commerce vins et charbons presque toujours. A Paris les originaires du pays s'entraidaient beaucoup. Les nouveaux arrivants trouvaient assez facilement une aide financière auprès de leurs compatriotes établis depuis quelques temps.
Les enfants étaient envoyés en nourrice chez les grands parents. Ces enfants restaient souvent là jusqu'à ce que les parents aient ramassé un petit pécule, 10 ou 15 ans après et reviennent au pays. Ils cherchaient à acheter une petite ferme où ils finissaient leurs jours. Les enfants étaient élevés au pays comme ils l'avaient été eux mêmes. Et ça a duré ainsi jusqu'en 1914. Certains de ces commerçants réussissaient assez bien dans leurs entreprises. Les couches sociales commençaient à se mélanger. Il arrivait que certains anciens domestiques, qui avaient été plus ou moins bien traités par leur employeurs, voient arriver le fils de leur ancien patron pour leur demander du travail à Paris.
A la campagne, la vie était parfois difficile. Certains furent ruinés à la suite d'événements extérieurs. Nous causions de cela un de ces dimanches à une table de l'auberge à la sortie de la messe à Cantoin. Un petit fils Cayron a raconté alors ce qui s'était passé au château de Cantoinet. La famille Cayron, famille nombreuse s'il en fut. Sur vingt deux enfants dont plusieurs jumeaux même père et mère, il y en avait seize en vie en 1914.
L'ainé était né en 1871, le plus jeune vers 1899.
Le premier était rentré comme fermier à Cantoinet en 1890.
Ils exploitaient en même temps leur propriété personnelle à Vitrac et une autre à Cissac qui appartenait, comme Cantoinet, à la famille Valadier. En 1914, 7 fils sur 8 furent mobilisés, 5 filles sur 8 étaient mariées et parties. Les parents Cayron, un peu âgés, décidèrent de quitter les propriétés qu'ils avaient en fermage. Imaginez la contrariété des propriétaires. Trouver un autre fermier en 1915 était impossible. On raconte que Mme Rouchès (future Mme Maynier) fille Valadier alla trouver les religieuses à Cantoin pour leur demander de prier et de faire prier les filles qu'elles avaient alors en pension ou au catéchisme, pour obtenir que le fermier change d'idée et qu'il consente à rester. Heureusement, elles ne furent pas exaucées. Après guerre il aurait fallu vendre la propriété pour sortir le fermier. Déjà en 1914, elle dû payer une dizaine de mille francs. C'était beaucoup à l'époque mais les Cayron n'étaient pas pressés et ne la pressaient pas. Quelques années plus tard, une vache suffisait pour les payer.
Le docteur Maynier originaire de la Borie Haute près de St Amans des Cots venu à Cantoinet en épousant la fille Rouchès a mis le nom Maynier dans le village. A la même époque toutes les maisons du village ont changé de nom. Partout ce sont des filles qui ont gardé les propriétés excepté Viguier. Séguis remplace Long, Pégorié remplace Piémont et Poulhès remplace Bès. Tout cela après 1918.
Une autre conséquence de la mécanisation: l'obligation de changer de bovins. La race d'Aubrac que nous avions uniquement jusqu'alors ne s'avère plus rentable. Elle était surtout bonne pour le travail. Les boeufs d'Aubrac étaient recherchés dans toute la France, aucune autre race ne l'égalait pour travailler. Les tracteurs l'ont supplantée. Ce qui faisait leur force pour le travail c'est qu'ils avaient le devant plus développé que le derrière. Cette qualité devient un défaut pour la boucherie.
Si une vache d'Aubrac est médiocre laitière, elle a cependant de bonnes qualités: les vêlages sont réguliers et relativement faciles. Elle se contente d'une nourriture médiocre et est résistante aux intempéries. Avec un taureau charolais elle arrive à faire des produits aussi bons que le charolais pur. Aussi essaie t'on de la conserver. Des primes sont distribuées à ceux qui veulent bien continuer à élever des jeunes femelles de race pure. On assiste encore à un certain tâtonnement quant au choix de la race à adopter. Ceux qui se tournent vers la production laitière ont adopté la race frisonne. Ce sont des exploitants relativement jeunes à la tête de propriétés de moyenne importance. Les exploitants âgés et les grosses fermes font le croisement Charolais-Aubrac. Comme les femelles de remplacement Aubrac sont rares et chères, beaucoup gardent des femelles issues de croisement. D'autres essaient la femelle Limousine. On ne peut pas encore juger du résultat.

Le remembrement
1976, c'est le remembrement dans une partie de la commune.
Cantoinet est dans cette partie. C'est un travail important car il s'agit de regrouper les parcelles d'une même propriété. Chaque parcelles est évaluée en surface et en points.
Les points varient selon la fertilité du terrain.
Ils sont fixés d'un commun accord par les exploitants réunis.
Après le remembrement chacun doit retrouver sinon la même surface, le même nombre de points. Les nouveaux bornages désignés, chacun fait aménager comme il l'entend sa nouvelle propriété. A peu près toutes les haies, toutes les murettes doivent disparaître presque obligatoirement puisque les bornages ne concordent plus et les parcelles sont beaucoup plus grandes. Dans les endroits un peu en pente comme le versant du côté des Capelles, au cours des siècles, les façons culturelles ont fait descendre la terre. Cette terre s'est accumulée au fond du champ ou elle a été retenue par la murette et la haie. Tandis que dans la parcelle voisine en dessous le même phénomène s'est produit. Aussi d'une parcelle à l'autre il y a parfois plusieurs mètres de différence de niveau. Avec le remembrement, les bulldozers travaillent à niveler. On creuse une tranchée tout le long des murettes, celles ci sont renversées dans la tranchée et on renivelle après. Les anciens petits chemins sont supprimés: taillés à la largeur d'une paire de boeufs, une murette de chaque côté. Depuis qu'il y a des tracteurs ils étaient devenus inutilisables. D'une parcelle à l'autre, on allait à travers champ.
A noter que ces petits chemins devaient avoir leur histoire et devaient exister depuis des temps immémoriaux. S'ils avaient pu causer, ils auraient pu raconter des choses qui nous auraient étonnés. Sur les anciens plans ces petits chemins qui traversaient notre propriété étaient désignés: pont de Tréboul-Entraygues c'est à dire d'un pont à l'autre ou Muzadous -Parolhès, d'un château à l'autre. Les ponts devaient être les points de repère pour les voyageurs, les marchands tandis que pour les châteaux ils servaient à se rendre visite ou à se faire la guerre.
Maintenant, on fait des chemins larges qui tout en desservant les parcelles relient un village à l'autre. L'entraide l'acquisition de machines en commun rendent les relations entre villages utiles et fréquentes. On a supprimé le chemin qui relie Cantoinet à Muzadous. J'estime que c'est une faute.

Souvenirs d'enfance
Je suis né à Paris, 8 rue de Paradis. Mes parents y exploitaient un commerce vins et charbons comme à peu près tous les auvergnats à cette époque. Ils avaient succédé à mes grands parents maternels qui avaient exploité le même commerce depuis une vingtaine d'année. Mes grands parents paternels exploitaient leur propriété aux Capelles mais mon grand père mourut en 1900, alors mes parents décidèrent de quitter Paris pour aller exploiter aux Capelles. Ce devait être en octobre 1901. J'ai toujours conservé un vague souvenir de Paris. Je vois très bien la disposition des lieux : le comptoir à gauche en rentrant, la trappe qui donnait à la cave juste à la sortie du comptoir dans laquelle ma mère est tombée un jour. Je me rappelle qu'elle était évanouie en bas de l'escalier, les clients ont aidés mon père à la remonter. On lui a lâché les vêtements, dégrafé son corset et c'est peut être à cause de cela que je m'en souviens. A gauche, une porte donnait sur le couloir qui longeait les sacs de charbons empilés. En bout de la pile, sur la rue, une échoppe de cordonnier. A l'autre bout du couloir, une sorte d'arrière boutique, une porte donnait sur la cour. Il fallait traverser cette cour, trois ou quatre mètres, pour prendre l'escalier qui donnait à notre chambre, à l'étage. La cuisine était entre la boutique et l'arrière boutique, sans aucune fenêtre. Je ne me rappelle pas comment était l'éclairage à l'intérieur. Je sais que dans la rue, un homme passait tous les soirs avec une torche pour allumer les becs de gaz.
Du voyage Paris les Capelles, je ne me rappelle que de la partie après Aurillac en diligence et si je m'en rappelle c'est qu'il m'y arriva une cruelle mésaventure. Depuis Paris, je portais à la main un petit fouet qui servait à faire tourner un genre de toupie qu'on appelait sabot. C'était mon amusement préféré. Pendant que nous mangions dans une auberge, je crois que c'était à Raulhac, où on changeait les chevaux, un petit chat me pris mon fouet et s'enfila dans le petit passge qu'il lui était réservé pour aller à la cave. Le personnel de la maison alerté, se mit à chercher mon fouet mais peut être pas bien sérieusement car pour eux cela n'était pas bien important. On ne le retrouva pas et c'est le coeur bien gros que je remontais dans la diligence sans mon fouet. J'ai pensé depuis : la lanière de ce fouet était en peau d'anguille et le chat avait dû la manger.
A Ste Geneviève, il faisait nuit quand nous sommes arrivés et un voisin des Capelles était venu nous attendre avec sa voiture. On m'a dit que c'était M. Caldaguès. En route ce qui m'a frappé c'est que mon père et M. Caldaguès descendaient de voiture et marchaient à pied. On m'expliqua que le cheval n'était pas assez fort pour nous trainer tous. En arrivant aux Capelles, quelle suprise et quel contraste avec la rue de Paradis.
Une petite lampe sur la table éclairait à peine la maison, et une grande cheminée toute noire, reluisante même de suie, offrait un grand feu. Pour moi qui n'avait vu du feu qu'emprisonné dans le fourneau. Qui avait-il à la maison ? Je ne me rappelle que de ma grand mère avec sa coiffe qui couvrait la tête et les oreilles comme avaient toutes les campagnardes agées à cette époque. Quelqu'un récita la prière avant d'aller se coucher, sans doute une de mes tantes mais je ne m'en rappelle pas. Le matin en ouvrant la porte, je vis des poules dans la cour. Je n'en avais vu que sur des images et ce mouvement de la tête et du cou qu'elles faisaient à chaque pas me surpris. A l'étable il y avait de grosses vaches noires (la race d'Aubrac était noire autrefois) et je n'osais pas m'aventurer plus loin que la porte. Que de nouveautés pour moi !
Nous allâmes rendre visite à la tante Andrieux, une belle-soeur de ma grand mère maternelle. Elle était alitée et ne tarda pas à mourir. Puis nous partîmes à Cantoin où mon grand père maternel était tout seul, la grand mère était décédée depuis 7 ou 8 ans. Mon oncle et ma tante Julie qui exploitaient cette petite propriété étaient partis à Paris exploiter le commerce que nous avions laissé rue de Paradis. Il était convenu que mes Parents devaient exploiter les deux propriétés des Capelles et de Cantoin. Ma mère devait rester à Cantoin pour nous permettre d'aller plus facilement à l'école et mon père faisait le va et vient.
En 1906, mes parents décidèrent de cesser d'exploiter la petite propiété de Cantoin et d'aller demeurer tous aux Capelles. Nous étions cinq enfants en âge d'aller à l'école. Plutôt que de nous envoyer à Cantoin tous les jours d'hiver avec la musette pour le repas de midi, ils préférèrent embaucher une institutrice pour nous faire la classe à la maison. C'est une religieuse originaire de Cassuejouls qui vînt la première année.
Puis en s'adressant aux pensionnats de Rodez on pouvait trouver des jeunes filles qui ayant échoué au brevet, pouvaient s'occuper de nous tous en continuant à se cultiver elles-mêmes. Finalement elles abandonnaient leurs études. L'une d'elles est venue deux ans et une autre trois. Puis nous avons grandi, mes soeurs ainées s'occupaient des petits et l'effectif augmentait avec mes cousins car leurs parents de Paris les envoyaient en nourrice aux Capelles. En 1910, j'allais passer un hiver en pension à St Amans.

1_Aux Capelles, on avait acheté un manège en 1903 pour 240frs et un vannoir (tarare) pour 48frs. On en avait un modèle de fabrication artisanale depuis longtemps.
2_Moteur et machine furent achetés 1600frs en 1912.
3_Depuis l'achat du tracteur, on ne dresse plus les boeufs.
4_Je n'ai pas parlé de la literie. Avant 1914, les sommiers n'existaient pour ainsi dire pas dans nos campagnes. Les matelas étaient rares, on préférait vendre la laine. On couchait sur des paillasses ; grands sacs qu'on remplissait de feuilles de hêtre ramassées à l'automne dans les bois.
5_Je me souviens y avoir été avec ma tante Irma (Irène) qui devait se faire religieuse et aller mourir missionnaire à Futuna (Wallis, Océanie centrale) sous le nom de soeur Marie Thimothée. Elle avait 8 ans de plus que moi. Mon oncle révérend père Alphonse Poulhès missionnaire à Maré (Iles Loyalty, Nouvelle Calédonie) avait 12 ans de plus que moi. J'avais 13 ans lorqu'il reçut la prêtrise en Belgique, les lois de séparation de l'église et de l'état les avaient chassées de France. 6_La grand mère, assisse au coin du feu, faisait tourner la dinde embrochée dans la rotissoire.
7_Un détail intéressant, je me rapelle quelques vielles femmes ; la Sornino, la Porgueto, la Morselle, la Tartasse, tous les matins quand les vaches avaient été ramenées au paturage, elles partaient avec à la main un vieux seau et la pelle à feu, elles se disputaient le peu de fumier que les vaches avaient laissé tomber sur les chemins. Elles n'avaient que ça pour fumer leur jardin.
8_Je viens de lire : la bicyclette à 150 ans, nous sommes en 1975 ce qui donne 1826.
9_Je viens de lire : En 1850 il y avait déjà 25000 km de voies ferrées en Europe. En 1844, la première ligne française est entre Roanne et St Etienne.
Mes souvenirs, Julien Poulhès 1895 - 1988