- Extrait -
Julien Poulhès
1895-1988
1902 Aux Capelles, on achète un croc-paille, machine à battre actionnée
à bras.
Les travaux agricoles : Les labours
Les travaux agricoles : La moisson
Les travaux agricoles : Le dépiquage
Les travaux agricoles : la Fenaison
La maison : L'habitation
La maison : L'eau et l'électricité
La maison : Cuisine et fêtes de famille
Les moyens de transport
La vie dans les campagnes
- Extrait -
Julien Poulhès
1895-1988
1903 On achète le manège pour actionner le croc-paille avec les boeufs.
1907 Un bureau de poste est installé à Cantoin (le maire est Roux Dels Peyrade).
1909 On achète aux Cappelles une faucheuse à traction animale.
1912 un moteur à essence.
1922 À Cantoinet, on achète une faucheuse à traction animale.
1922 À Cantoinet, on construit un four à pain, démoli en 1980 pour faire le hangar.
1930 À Cantoinet on achète un moteur à essence remplacé en 1942 par un
moteur électrique.
1932 L'électricité est installée dans la commune.
1932 Le village de Cantoinet vend la carrière de pierre dite la liberté.
Individuellement on touche 182000 francs (de l'époque).
1946 Le stylo à bille.
1952 Un industriel ramasse le lait à Orlhaguet.
1955 On achète un tracteur de 16 cv.
1958 On achète une 2 cv.
1963 On construit un hanger à stabulation libre.
1964 Premier ensilage.
1965 On amène l'eau courante dans la commune.
1965 On achète la machine à traire.
1966 On achète un congélateur.
1968 La laiterie s'installe à Laguiole, elle était à La Terrisse depuis une douzaine d'années.
1969 On achète le téléviseur.
1970 On installe le téléphone à la maison.
1975 On installe l'évacuateur à l'étable.
1976 On procède au remembrement.
1984 Construction de la maison de l'ancien emplacement de la maison Maurel-Rouquette.
1986 On refait le pavé de la cour, les grosses pierres sont remplacées par
des briques.
1987 Installation d'un lave vaisselle.
Avant 1900, pour labourer, on ne connaissait que l'araire,
sorte de crochet formé de pièces en bois de fabrication familiale.
Seule la pointe qui pénétrait dans la terre était en fer.
L'araire était tirée par une paire de boeufs ou le plus souvent
de vaches. De nombreux passages étaient nécessaires pour ameublir
un champ.
A partir de 1900, petit à petit, la charrue "brabant double" a
remplacé l'araire. En 1914, les petites exploitations n'en étaient
pas encore toutes munies. Avec la charrue, le travail était moins
pénible, moins monotone, mais il n'était pas mieux fait car la
terre était moins ameublie. Les rendements avaient plutôt baissé.
Ce n'est qu'après l'arrivée des tracteurs qu'on a pu travailler
convenablement la terre.
A quelques exceptions près, jusqu'en 1914, le blé était coupé
à la faux. Les hommes coupaient et derrière chacun d'eux,
une autre personne, femme ou enfant ramassait soigneusement
le blé coupé, les épis tournés du même côté. Chaque brassée
s'appelait une javelle.
Le soir tout le monde attachait ses javelles.
Une poignée de paille soustraite à chacune d'elles servait de
lien pour attacher. Pour faire le noeud, assez spécial,
on se servait d'un morceau de bois pointu qu'on appelait liödou.
Une fois attaché, cela constituait des gerbes.
Quelqu'un de bien habile pouvait en attacher cent à l'heure.
Travail pénible s'il en est.
Quand le temps n'était pas sûr, on faisait des meules dans le
champ même. Ces meules étaient des tas de gerbes faits en forme
de cônes, les épis à l'intérieur. Les gerbes étaient placées de
manière à ce que l'eau s'égoutte tout le tour sans pénétrer à
l'intérieur. On mettait environ cent gerbes à chaque meule.
Quand le temps était sûr, on attendait que la moisson soit
terminée pour ramasser les gerbes. On faisait alors des grosses
meules, environ mille gerbes, à proximité de l'endroit où devait
se placer la machine à battre. La confection de ces meules était
un travail assez délicat. Pendant longtemps, j'ai fait toutes
celles du village.
Cette manière de moissonner a duré jusqu'en 1920.
Je crois que nous étions les seuls de la commune aux Capelles
(avec Mr Clapier de Biac) a nous être équipé d'une faucheuse à
traction animale en 1908. En ajoutant quelques pièces, la machine
pouvait moissonner et faire les javelles bien mieux arrangées qu'à
la main. Les javelles restaient à côté du blé non coupé et il
fallait les changer de place pour laisser le passage libre à la
machine au tour suivant, mais c'était qu'en même un grand progrès.
Après 1920, petit à petit, à peu près toutes les exploitations
se munirent de cette machine (en 1908 cette machine nous coûtait
410 frs, la valeur d'une grosse vache).
Puis çà et là apparurent bien quelques moissonneuses lieuses,
mais elles demandaient tellement de force pour la traction,
qu'avant l'arrivée des tracteurs, on ne pu guère s'en servir.
Enfin, c'est vers 1954 qu'arrivèrent dans la région les moissonneuses-
batteuses. Alors vraiment c'était un grand changement.
Pour battre ou dépiquer avant 1900 on ne connaissait ici que le fléau,
outil entièrement en bois de fabrication familiale ou artisanale.
C'était une gaule de 3m50 de long environ faite de branches
entrelacées avec lesquelles on tapait sur le blé.
Les gerbes étaient détachées et étendues par terre sur un pavé
de préférence.
On tapait dessus en cadence jusqu'à ce que le grain soit sorti
des épis. Puis on secouait la paille de manière à ce que le grain
reste par terre. On remettait la paille en botte comme les gerbes.
On rentrait cette paille dans les granges tant qu'il y avait de la
place, mais il aurait fallu beaucoup de place pour la rentrer toute.
Elle n'était pas pressée. Alors on la mettait en meule comme pour
les gerbes.
Le grain était ramassé et vanné. Pour le vanner en 1900 il y avait
bien quelques tarares (bentadou) mais beaucoup attendaient un jour
de vent. Alors corbeille par corbeille, (polias), on mettait la
corbeille pleine sur le tête et on laissait tomber doucement le
grain par terre sur une toile (morubelle). Le grain tombait
directement tandis que le vent emportait les impuretés légères.
Pour les plus lourdes, on mettait le grain dans une sorte de
passoire (curbel) et on secouait. Les petites mauvaises graines
tombaient sous la passoire et par un tour de main spécial les
grosses graines se rassemblaient à la surface.
C'était un travail long, pénible et assez difficile à faire.
Vers 1900 apparurent quelques batteuses à bras. Dans ces machines
d'environ 50 cm de large, il y avait un cylindre muni de pointes
en fer d'environ 7 ou 8 cm de long et espacés d'environ 5 cm dans
tous les sens. Suspendues au plafond de cette machine il y avait
aussi d'autres pointes en fer de même mesure, mais fixes.
Les pointes du cylindre s'entrecroisaient avec celles du plafond.
On présentait le blé poignée par poignée au cylindre.
Celui-ci l'entraînait et c'est en passant dans ces pointes que
le grain sortait des épis. Seulement il fallait faire tourner ce
cylindre assez vite. Une manivelle de chaque côté de la machine et
deux hommes à chaque manivelle étaient nécessaires.
Il fallait deux autres personnes pour faire passer la paille dans
la machine et quatre pour l'écarter, la secouer, et la remettre
en botte derrière. Toutes les demi-heures les hommes échangeaient
leur place, ceux qui étaient à la manivelle allaient à la paille
et ceux de la paille allaient à la manivelle. On profitait de la
relève pour écarter un peu le grain de derrière la machine.
Il y avait encore plus d'impuretés dans le grain qu'avec le fléau.
Et on buvait un coup, bien souvent un peu trop, le soir le travail
n'était pas mieux fait. C'était moins monotone que le fléau mais
le progrès n'était pas grand.
Bientôt apparurent les manèges1: une grande roue dentée placée
horizontalement. Une barre (timon) de chaque côté de la roue
permettait d'accrocher un attelage, boeufs ou chevaux.
Un système d'engrenages et de barres de transmission faisait
que c'était l'attelage qui en tournant en rond faisait tourner
la roue dentée. Ce qui avait pour conséquence d'actionner la batteuse.
C'était déjà un petit progrès. Le nettoyage du grain se faisait
toujours de la même façon mais l'usage du tarare se multipliait
et se perfectionnait.
Vers 1910 commencèrent à apparaître quelques batteuses à grand
travail actionnées par des locomobiles. Elles étaient conduites par
des entrepreneurs et il fallait trente personnes pour les servir
et un char de bois par jour pour chauffer une locomobile.
Dans une journée tout le blé d'un village était battu et le grain
sortait propre.
Aux Capelles cette machine y est venue une fois, mais tous
les attelages du village ne suffisaient pas pour amener
cette machine de la route au village tant elle était lourde.
L'année suivante mon père fit l'acquisition d'une petite machine
et d'un moteur à essence pour l'actionner2. C'était plus maniable.
Cela allait moins vite, le grain ne sortait pas propre mais il
fallait moins de monde pour la servir.
Pendant la guerre 14-18, le manque de main d'oeuvre faisait qu'on
avait du mal à se servir de la grosse machine. Notre petite machine
rendit beaucoup de services dans le pays. A noter que c'est le
premier moteur à essence qui soit apparu dans la région.
Mon père avait été à Oustrac pour en voir marcher un.
Après guerre quelques grosses machines sont réapparues.
Petit à petit les locomobiles ont disparu pour laisser la place
aux gros moteurs. Ils étaient en même temps automoteur,
ils traînaient la batteuse d'un village à l'autre.
C'est vers 1964 que les moissonneuses batteuses sont apparues
dans le pays. Alors quel changement!
Jusqu'en 1918 à peu près toute l'herbe était coupée à la faux.
Comme je l'ai dit en parlant des moissons, nous étions les seuls
aux Capelles avec M. Clapier à Biac à nous être munis d'une faucheuse
à traction animale en 1908.
Après 1918, l'usage s'en est vite répandu mais il a bien fallu
une dizaine d'années pour que les petites exploitations décident
de s'en munir. Ces machines ont rendu service jusqu'à l'arrivée
des tracteurs. C'est en 1955 que personnellement à Cantoinet nous
en avons acheté un. Il n'y en avait encore que deux ou trois dans
le canton. Dix ans après, à peu près chacun avait le sien. Alors
tous les fournisseurs se disputaient les clients.
En 1955, le tracteur nous est arrivé deux ans après l'avoir commandé
et en partie payé. Si un de mes fils n'avait pas été à Paris à
l'exposition de la machine agricole et n'y avait pas rencontré
un directeur de l'usine, il aurait peut être fallu l'attendre
plus longtemps.
Tout le monde avait l'intention de conserver un attelage de boeufs
ou vaches en même temps que le tracteur. On s'est vite aperçu que
ce n'était pas possible. On ne leur faisait presque rien faire et
ils n'étaient jamais bien domptés. Avant le tracteur, nous avions
deux paires de boeufs, une paire de quatre ans et une de trois ans.
Ceux de quatre ans étaient vendus après fenaison.
C'était le principal revenu de l'exploitation. Ils valaient à peine
900 frs en 1914. Les mêmes aujourd'hui en 1955 vaudraient 900.000 frs.
On a supprimé deux zéros ce qui équivaut à 9000 frs.
Tous les ans il fallait dresser deux doublons. On les choisissaient
identiques ce qui avait une grande influence sur leur valeur.
Pour remuer et aidainer le foin, le râteau à main était le seul
outil connu avant 1914. Après 1918, les fermes de quelque importance
se munirent de rateleuses. Attelées à un cheval, elles ramassaient
le foin, le mettaient en cordes. Puis arrivèrent des machines
toujours à traction animale pour remuer et tourner le foin.
Pour le passer au char, il n'y avait que la fourche en fer qui
avait remplacé la fourche en bois vers 1900.
Sur le char, une personne le plus souvent une femme arrangeait
le foin. Le charger bien en équilibre, était assez difficile.
Il arrivait que la charrette se démolisse avant d'être finie.
Dans les grosses fermes, le valet passait le foin, la servante le
chargeait. Un usage ancien voulait que le valet achète des poires
à la servante après fenaison si aucune charretée ne s'était démolie.
De là un dicton est resté longtemps, perdré los péros, quand quelque
chose se démolissait. Puis on eu l'idée de mettre de grandes claies
de chaque côté du char ce qui facilitait le chargement, mais les
chemins étaient tellement étroits que tout le monde ne pouvait
s'en servir.
Vers 1950 apparurent quelques chargeurs: un tapis roulant actionné
par ses propres roues. On l'accrochait derrière le char. C'était le
char à cheval de l'audain. Le chargeur en marchant montait le foin
sur le char. Le chargeur remplaçait la fourche mais il fallait
toujours quelqu'un sur le char pour arranger le foin. On ne pouvait
se servir du chargeur qu'avec les chars à claies. L'usage ne s'en est
pas généralisé. Nous en avons eu un mais il n'a servi que deux
ou trois ans. On l'a revendu à temps, ils ont été bientôt abandonnés
par tout le monde.
L'arrivée des tracteurs et des presses ramasseuses chez nous en
1959 a bien modifié ce travail. Avant l'arrivée des presses,
le déchargement du foin à la grange était pénible.
Boeufs et char avançaient jusqu'au fond de la grange.
On déchargeait petit à petit en avançant. Au début de la fenaison
ça pouvait aller, mais vers la fin l'attelage trimait pour arriver
au fond, en passant par dessus le foin rentré la veille.
Au fond de la grange, il arrivait que l'attelage touche les
chevrons avec les cornes. De temps en temps on faisait passer
le troupeau de vaches sur le foin pour le presser. Le char montait
plus facilement, travail presque incroyable aujourd'hui.
Beaucoup de constructions sont antérieures à 1870.
Avant cette date et jusqu'en 1900, le tour des portes et des fenêtres
étaient taillés en granit bleu qu'on trouvait du côté de Vines.
Après 1900, on a employé le granit blanc qu'on trouvait dans les
bois sur la route de Lacalm ou en dessous de Biac sur la route de
Sainte Geneviève. Ni pour l'un, ni pour l'autre il n'y avait de
carrière ouverte. On trouvait des blocs de pierre dans les champs
qui étaient exploités. Dès 1950 on employait le béton.
Avant 1870, on faisait le moins d'ouvertures possibles.
Il y avait un impôt sur les portes et fenêtres. En principe,
il y avait la porte et une fenêtre de chaque côté. En plus,
il y avait près de l'évier une petite ouverture d'environ quarante
sur quarante qui ne comptait pas pour l'impôt. En haut, il y avait
trois fenêtres mais aucune au dessus du "fenestrou".
L'escalier pour accéder au premier étage partait en face de la
porte d'entrée. Au rez de chaussée il y avait deux pièces dont
l'une était la cuisine et l'autre était appelée salon. Le plus
souvent ce n'était qu'un débarras. A la cuisine, règle à peu près
générale, il y avait deux alcôves. Entre les deux, l'armoire garde
manger et la pendule à poids prenaient place. Tout était sur le même
plan, c'est à dire que la profondeur de l'armoire équivalait à
la largeur de l'alcôve; la pendule au dépend de l'armoire.
Au dessous de l'escalier il y avait un petit lit, "la coutchique".
Le plus possible on couchait à la cuisine ou à l'étable.
Il faisait froid à la chambre4. L'escalier pour monter au grenier
partait du palier ou parfois d'une chambre et je ne sais trop
pourquoi on ne cherchait pas à faire joindre les portes.
Les systèmes de fermetures étaient artisanaux. Souvent un simple
bout de bois pivotant sur une pointe maintenait la porte fermée.
Inutile de dire que les sanitaires n'existaient pas, on ne
connaissait pas la signification de ce mot. Quelques maisons
avaient bien une cabane au fond du jardin qui servait de water
mais à peu près tout le monde allait comme il pouvait derrière
une muraille. Encore aujourd'hui en 1975, toutes les maisons
n'ont pas de sanitaires.
C'est en 1965 que la commune, une des premières de la région,
pu faire l'adduction d'eau dans tous les villages.
Avant cette date chacun se débrouillait.
Beaucoup de ferme avaient des puits dans la cour,
l'eau était plus ou moins bonne. Beaucoup tarissaient l'été.
Ici, on allait chercher l'eau à la fontaine du village, nous
avions la chance de l'avoir à proximité. L'eau aurait été à
peu près bonne si on avait eu la patience de la prendre avant
qu'elle tombe dans l'auge mais bien souvent elle ne coulait
pas bien fort, il aurait fallu trop longtemps pour remplir un seau.
On la prenait dans l'auge, les bêtes y avaient bu, les grenouilles
s'y promenaient. Il y avait l'avantage que les femmes s'y
rencontraient avec leurs seaux, elles y faisaient un brin de causette.
Maintenant, elles n'ont plus à sortir de la maison.
Aux Capelles les fontaines tarissaient presque l'été,
on allait chercher l'eau avec des barriques pour les besoins
de la maison. On allait au pré de Pratmeau.
Là, il y avait un simple trou d'environ un demi mètre cube.
Il était toujours plein d'eau et on puisait avec un seau pour
remplir les barriques. Le trou était aussi plein quand nous
repartions que quand nous arrivions. Pour la lessive, quand il
pleuvait, on ramassait l'eau des toitures dans des baquets.
Ici, on allait laver au ruisseau, les femmes à genou sur une
pierre, frottaient le linge sur une autre pierre.
Vers 1955, quelques machines à laver firent leur apparition,
mais sans eau courante, on s'en servait difficilement.
On aurait pu les actionner puisque c'est en 1932 que le courant
électrique est arrivé dans la commune. Là aussi quel changement.
Lampes, bougeoirs, lanternes sont matériels réformés. Au début,
on ne faisait faire que des installations bien restreintes,
on n'avait pas bien compris. Petit à petit, le nombre de lampes
a augmenté et aussi les prises de courant car à l'installation,
on ne savait pas ce que c'était.
A la cuisine, avant 1914, on ne connaissait que le feu de cheminée
et la crémaillère. Pourtant certains jours on y faisait beaucoup
de cuisine. Les repas de noce se faisaient toujours à la maison et
on invitait beaucoup de monde. Les tablées de soixante ou
quatre-vingt convives n'étaient pas rare. La table était à la
grange ou à l'étable suivant la saison. Entre voisins, on se prêtait
la vaisselle. La cuisine était faite dans la cheminée.
Deux crémaillères étaient accrochées à la même potence.
Les tartes, quelques plats et l'obligatoire fouace cuisaient dans
le four à cuire le pain. Une grande fouace de presque un mètre de
diamètre figurait sur la table, mais chaque convive devait emporter
sa petite fouace en partant chez lui. C'était ainsi tous les ans
le jour de la fête patronale.
Jusqu'en 1914, aucune famille ne passait sans célébrer cette
fête en réunissant tous ses proches (à moins d'un deuil récent).
Personnellement aux Capelles nous étions invités le lundi de Pâques
à Cassuejouls, pour la Saint Jean aux Fonteilles, pour la Saint
Martial à Mels, pour le 15 Août à Cayrac et la Saint Laurent à
Cantoin. Aux Capelles c'était pour la Sainte Croix.
Après 1914, ces réunions ne se firent plus, ou à une échelle
beaucoup plus réduite. Jusque vers 1960, les repas de noce se
firent toujours à la maison avec toutefois moins d'invités.
Maintenant, on va à peu près toujours au restaurant.
Entre 1900 et 1914, quelques parisiens de retour au pays,
placèrent quelques cuisinières (des "fourneaux" disait-on)
à coté du foyer, mais ce n'est qu'après 1918 que l'usage de
la cuisinière a commencé à se généraliser. Ce n'est que petit
à petit que la crémaillère fut délaissée. Je crois bien qu'encore
en 1960, quelques maisons s'en servaient. On brûlait beaucoup de
branchages difficiles à brûler dans une cuisinière. Les foyers
étaient plus nombreux, on manquait peut être de gros bois.
Et puis, débiter le gros bois pour le feu était un travail pénible.
Les tronçonneuses n'existaient pas, il n'y en avait certainement
pas avant 1960. Tout l'outillage, le matériel était en bois ce qui
en immobilisait beaucoup.
Avant 1914, un service régulier d'autobus s'effectuait tous les
jours entre Aurillac et Ste Geneviève depuis quelques années déjà.
Partant d'Aurillac à l'arrivée du train de Paris vers 10 heures,
il arrivait à Mur de Barrez vers midi. Les chauffeurs et beaucoup
de voyageurs dînaient à Mur de Barrez. Il arrivait à Ste Geneviève
vers les 3 heures pour repartir presque aussitôt et arriver à
Aurillac au départ du train vers Paris. Ce service continua pendant
toute la guerre au grand bénéfice des permissionnaires.
J'avoue que pour ma part le dîner à Mur de Barrez était ma première
satisfaction en arrivant en permission. De la gamelle des tranchées
au dîner au restaurant, il y avait contraste.
Un autre service d'autobus s'était fait hebdomadairement entre
Cantoin et Neussargues pendant l'été 1913. Il avait repris en
Juillet 1914 mais interrompu par la guerre, il n'a jamais continué.
De Rodez à Ste Geneviève par Laguiole, un service s'effectuait
journellement en diligence. On changeait les chevaux à la Vitarelle
sans doute aussi à Espalion. Beaucoup de voyageurs montaient les
côtes à pied. Les chevaux ne pouvaient marcher qu'aux pas en montée.
Les étudiants (ils étaient rares) qui montaient en vacances
d'Espalion racontaient que parfois ils étaient obligés de pousser
la diligence pour soulager les chevaux. Bien sur ils exagéraient.
Tous les déplacements quotidiens se faisaient à pied. A peu près
tous les exploitants possédaient bien une voiture mais il fallait
aller chercher la jument au pâturage. Elle ne se laissait pas
toujours attraper facilement puis bien souvent elles avaient leur
poulain qu'il fallait enfermer tant que leur mère s'absentait.
On préférait partir à pied.
Les commerçants avaient chacun plusieurs chevaux ou juments.
Ils s'en servaient souvent pour aller s'approvisionner en
marchandises à Ste Geneviève. Cantoin était peuplé7, le commerce
était assez important, épiceries, merceries étaient bien
approvisionnées. Les autres voitures étaient à peu près inexistantes
dans la région avant 1914. Le médecin de Ste Geneviève M. Cocural
en avait une. Quand il passait sur la route au pâturage des Capelles,
les juments prenaient peur et se sauvaient.
Je sais qu'une fois j'ai été les chercher à Parolhès.
C'est bien aussi une des raisons pour laquelle on préférait partir
à pied plutôt que prendre la jument, elles avaient peur des autos.
Après 1914, on imagina de goudronner les routes. La manière de
faire n'était pas bien au point. Les routes étaient excessivement
glissantes. Il fallut alors délaisser complètement les chevaux qui
ne pouvaient pas y circuler. Les transports en commun en autobus
se multiplièrent. Les voitures étaient toujours bondées. Petit à
petit les paysans ont acheté des autos. Pour notre part ce n'est
qu'en 1958 que nous noud en munirent, une 2 cv, et nous n'étions
pas les derniers loin de là. Maintenant chacun a la sienne, il y
en a même souvent plusieurs dans la même maison. Les transports
en commun se sont vidés. Pour les conserver, département et communes
les subventionnent. La liaison Cantoin-Ste Geneviève est supprimée
vers 1945.
La bicyclette avait bien été imaginée quelques années avant 1908.
D'abord, elle est fabriquée en bois puis en métal.
Au début on n'avait pas trouvé comment faire pivoter la roue avant,
pour la diriger, elle marchait tout droit, c'était pour ainsi dire
un jouet. On ne tarda pas à trouver le moyen de la diriger mais
pendant quelques temps on le faisait avec une grande roue sur
le devant et une petite derrière. En 1900 elles avaient à peu près
le même format qu'aujourd'hui. Dans le pays, elles étaient rares
encore en 1914. Les mauvaises routes rendaient leur emploi difficile
et puis elles étaient chères ou plutôt l'argent était rare.
Durant mon existence, je n'ai pas vu beaucoup de changement dans
les chemins de fer. Mon arrière grand père Chastan qui partait à
Paris en 1851 alla prendre le train à Issoire. Mais le chemin de
fer ne tarda pas à arriver à Aurillac9. En 1864, il arriva à 4 km
de Rodez. On hésita quelques temps pour entreprendre la construction
d'un pont qui lui permettrait d'arriver à Rodez. Ce n'est qu'en 1878
que ce pont fut construit ainsi que la gare de Rodez. Cette gare
était alors loin de la ville. Aujourd'hui la ville déborde la gare.
Ce n'est qu'en 1901 que Rodez fut relié à Toulouse par voie ferrée.
La ligne d'Espalion Bertholène fut construite vers 1907. Elle a coûté
bien cher. Elle rend quelques services pour les marchandises mais
n'a jamais guère été utilisée par les voyageurs. Il n'y a que les
wagons un peu anciens qui puissent y circuler, certains tournants
trop brusques ne permettent pas d'utiliser les wagons modernes.
Autrefois les campagnes étaient beaucoup plus peuplées qu'aujourd'hui,
les naissances plus nombreuses. J'ai retrouvé le tableau de
recensement de la classe 90, c'est à dire des jeunes gens nés en 1870.
Il y avait cette année là, vingt conscrits dans la commune de Cantoin.
On peut supposer qu'il y avait à peu près autant de filles.
Aucun jeune ne quittait le pays avant le service militaire.
Leur premier voyage était pour aller à la caserne. Les filles ne
partaient pas avant le mariage. Elles filaient la laine de leurs
moutons et préparaient le chanvre. Garder les moutons et les vaches
occupaient beaucoup d'enfants.
Il y avait beaucoup de petits métiers, certains n'étaient exercés
que pendant l'hiver : les sabotiers, les fabricants de jougs,
certains charrons, certains menuisiers. Ils fauchaient l'été et
reprenaient leur métier à la morte saison. Bien souvent ils étaient
ambulants, ils allaient travailler chez celui qui leur donnait du
travail. Les chaisiers travaillaient d'une manière étonnante : on
allait couper un arbre, on leur portait le tronc à la grange et sans
autre outil que ceux qu'ils portaient sur le dos d'un village à
l'autre, ils fabriquaient une dizaine de chaises dans la journée.
Ces chaises étaient paillées à la veillée au coin du feu. Il y avait
aussi beaucoup de tailleurs et couturiers car les magasins de
confection n'existaient pour ainsi dire pas. Mis à part le chanvre
qui a été abandonné avant 1900, tout ce que je viens de raconter a
duré jusqu'en 1914.
Avant 1900, il y avait aussi des tisserands qui faisaient le drap
avec la laine et la toile avec le chanvre. On ne connaissait pour
ainsi dire pas d'autres étoffes. Les chemises de chanvre étaient
raides, assez dures à porter quand elles étaient neuves. On raconte
que certaines patronnes demandaient à leur servante de les porter
quelques semaines avant de les mettre elles mêmes. Les bonnes étaient
contentes d'économiser les leurs.
Après le service militaire, les jeunes allaient passer un ou
plusieurs hivers à Paris en tant que garçons charbonniers à peu
près tous. Au printemps ils venaient aider à la ferme paternelle
ou bien ils se louaient domestique dans une ferme. Certains étaient
"cantalés" ou pâtres sur les montagnes. Puis ils se mariaient.
Les mariages se faisaient toujours entre voisins. Ils partaient
à Paris exploiter eux-mêmes un petit commerce vins et charbons
presque toujours. A Paris les originaires du pays s'entraidaient
beaucoup. Les nouveaux arrivants trouvaient assez facilement une
aide financière auprès de leurs compatriotes établis depuis quelques
temps.
Les enfants étaient envoyés en nourrice chez les grands parents.
Ces enfants restaient souvent là jusqu'à ce que les parents aient
ramassé un petit pécule, 10 ou 15 ans après et reviennent au pays.
Ils cherchaient à acheter une petite ferme où ils finissaient leurs
jours. Les enfants étaient élevés au pays comme ils l'avaient été
eux mêmes. Et ça a duré ainsi jusqu'en 1914. Certains de ces
commerçants réussissaient assez bien dans leurs entreprises.
Les couches sociales commençaient à se mélanger. Il arrivait
que certains anciens domestiques, qui avaient été plus ou moins
bien traités par leur employeurs, voient arriver le fils de leur
ancien patron pour leur demander du travail à Paris.
A la campagne, la vie était parfois difficile. Certains furent
ruinés à la suite d'événements extérieurs. Nous causions de cela un
de ces dimanches à une table de l'auberge à la sortie de la messe
à Cantoin. Un petit fils Cayron a raconté alors ce qui s'était passé
au château de Cantoinet. La famille Cayron, famille nombreuse
s'il en fut. Sur vingt deux enfants dont plusieurs jumeaux même
père et mère, il y en avait seize en vie en 1914.
L'ainé était né en 1871, le plus jeune vers 1899.
Le premier était rentré comme fermier à Cantoinet en 1890.
Ils exploitaient en même temps leur propriété personnelle à
Vitrac et une autre à Cissac qui appartenait, comme Cantoinet,
à la famille Valadier. En 1914, 7 fils sur 8 furent mobilisés,
5 filles sur 8 étaient mariées et parties. Les parents Cayron,
un peu âgés, décidèrent de quitter les propriétés qu'ils avaient
en fermage. Imaginez la contrariété des propriétaires. Trouver
un autre fermier en 1915 était impossible. On raconte que
Mme Rouchès (future Mme Maynier) fille Valadier alla trouver
les religieuses à Cantoin pour leur demander de prier et de faire
prier les filles qu'elles avaient alors en pension ou au catéchisme,
pour obtenir que le fermier change d'idée et qu'il consente à rester.
Heureusement, elles ne furent pas exaucées. Après guerre il aurait
fallu vendre la propriété pour sortir le fermier. Déjà en 1914,
elle dû payer une dizaine de mille francs. C'était beaucoup à
l'époque mais les Cayron n'étaient pas pressés et ne la pressaient
pas. Quelques années plus tard, une vache suffisait pour les payer.
Le docteur Maynier originaire de la Borie Haute près de St Amans
des Cots venu à Cantoinet en épousant la fille Rouchès a mis le
nom Maynier dans le village. A la même époque toutes les maisons
du village ont changé de nom. Partout ce sont des filles qui ont
gardé les propriétés excepté Viguier. Séguis remplace Long, Pégorié
remplace Piémont et Poulhès remplace Bès. Tout cela après 1918.
Une autre conséquence de la mécanisation: l'obligation de changer
de bovins. La race d'Aubrac que nous avions uniquement jusqu'alors
ne s'avère plus rentable. Elle était surtout bonne pour le travail.
Les boeufs d'Aubrac étaient recherchés dans toute la France,
aucune autre race ne l'égalait pour travailler. Les tracteurs
l'ont supplantée. Ce qui faisait leur force pour le travail
c'est qu'ils avaient le devant plus développé que le derrière.
Cette qualité devient un défaut pour la boucherie.
Si une vache d'Aubrac est médiocre laitière, elle a cependant de
bonnes qualités: les vêlages sont réguliers et relativement faciles.
Elle se contente d'une nourriture médiocre et est résistante aux
intempéries. Avec un taureau charolais elle arrive à faire des
produits aussi bons que le charolais pur. Aussi essaie t'on de
la conserver. Des primes sont distribuées à ceux qui veulent bien
continuer à élever des jeunes femelles de race pure. On assiste
encore à un certain tâtonnement quant au choix de la race à adopter.
Ceux qui se tournent vers la production laitière ont adopté la race
frisonne. Ce sont des exploitants relativement jeunes à la tête de
propriétés de moyenne importance. Les exploitants âgés et les grosses
fermes font le croisement Charolais-Aubrac. Comme les femelles de
remplacement Aubrac sont rares et chères, beaucoup gardent des
femelles issues de croisement. D'autres essaient la femelle Limousine.
On ne peut pas encore juger du résultat.